au milieu des choses au centre de rien #5 
Farès Hadj-Sadok - Magasins généraux

ne pas mouiller le chat qui dort 


Allongée sous une couette aux allures de suaire, une forme inanimée sommeille. Le plissé des draps qui l’accueillent rappelle celui des marbres de gisants, et laisse entrevoir sa silhouette féline et dormante aux contours incertains.

Habitué à créer des contenants pour des choses qui n’en (s)ont pas, Farès Hadj-Sadok joue avec les formes et les textures dans un acte démiurgique où chaque détail a son importance. Une ode à la contemplation représentative de son attention pour les narrations quotidiennes que l’on pourrait considérer comme des non-évènements.

Le linceul strié qui épouse ce corps désincarné évoque un ex-voto vivant dont on cherche à percevoir la douce respiration irrégulière. Dans son drap immaculé, le corps du chat repose à la manière des restes momifiés qui accompagnaient leurs maîtres jusque dans leur dernière demeure dans l’Antiquité égyptienne. Zoolâtre accompli, l’artiste se fait le digne héritier des faussaires égyptiens, imposteurs d’un temps passé qui plaçaient des coquilles d'œufs en lieu et place de l’animal et dont les méfaits ont été découverts par l’archéologie contemporaine.

Les différentes couches qui enveloppent la forme latente cachée sous les draps constituent un habitacle-refuge lui-même enclavé dans l’enceinte d’un espace clos, un asile apaisant et propice au repos au sein duquel elle se serait faufilée par une embrasure clandestine. Par l’intervention de Farès Hadj-Sadok, la serre d’Arthur Guespin retrouve sa fonction protectrice. Chambre aux volets fermés d’où l’on écoute la pluie battante tomber, elle abrite et veille sur cette forme somnolente dont il importe peu qu’elle soit authentique.








Rejouant l’expérience de Schrödinger dans une atmosphère quasi christique, l’artiste donne à voir presque malgré lui les états superposés envisagés par le physicien lorsqu’il théorisait une éventuelle présence et absence d’un corps qu’on ne perçoit pas. Non plus figée dans un état ou une époque déterminée, la figure furtive aux courbes à peine dessinées se présente comme un simulacre, un leurre au fondement de la pratique artistique de Farès Hadj-Sadok. À demi-disparu, enseveli sous une couche rigide et pétrifiée à l’image d’un reste pompéien, le chat se devine plus qu’il ne se regarde. Il est tout à la fois le protagoniste principal d’une scène de vie à contempler et le défunt dans un mausolée qu’il s’agit d’honorer.



L’œuvre a surgi « comme une herbe pâle entre deux pavés (1) », une alternative, un pas de côté fait de coton molletonné, modelée par les mains de l’artiste et par la force d’un vent artificiel. Un tour de prestidigitateur qui vise à ramener de la splendeur sur le béton coulé, à capturer l’essence de la beauté nonchalante d’un animal vénéré, étendu au milieu des dégradés de blancs qui se répondent dans un jeu de tissus faussement ordonnés. Sculpture sensuelle saisie dans une posture presque extatique, le bel endormi rêvasse ; madone alanguie au sein d’un monochrome de drapés enchevêtrés.

Vue de loin dans l’imposant espace inhabité des Magasins généraux, la serre semble immortalisée, hors du temps, dans un résidu de poussière trop blanche pour être vraie et qui ne laisse entrevoir que de délicates empreintes félines, traces factices qui nous interrogent sur une possible réincarnation de cet être gracile aux multiples vies.

emploi fictif


(1) Jules Michelet

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Visuels - Vues de l’exposition « au milieu des choses au centre de rien # 5 », 9 avril 2021, Magasins généraux. © Farès Hadj-Sadok, Arthur Guespin, emploi fictif. 


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