« Nous ne cessons de frôler l’histoire des autres », suggère Marc Augé dans Un ethnologue dans le métro. En particulier dans une ville comme Paris où nos rythmes de vie nous dictent des itinéraires multiples, parfois solitaires et toujours singuliers qui quadrillent le béton de manière invisible. Dans un moyen-métrage qui illustre la façon dont se partage l’espace public, Mathias Mary met en lumière sept protagonistes ont en commun le fait de toutes et tous évoluer dans un périmètre segmenté qui n’appartient qu’aux promeneur•euse•s de chien•ne•s. Groupe socio-culturel à part entière, elles et ils font d’une obligation à promener leurs animaux une opportunité de flâner et nous entraînent dans leurs parcours cent fois répétés, chaque itération étant l’occasion pour elle•eux de faire de nouvelles rencontres ou de consolider les relations préalablement établies avec les habitant•e•s du quartier.

Si le format 9/16ème met en valeur les animaux, ce sont aussi celles et ceux à l’autre bout de la laisse que Mathias Mary nous fait entendre car en montrant les chien•ne•s, ce sont aux maître•sse•s qu’il donne la parole. Son documentaire nous confronte ainsi à sept tranches de vies, filmées sans dérision et abordant des sujets aussi variés que le quotidien dans la rue, la réincarnation, les rancœurs familiales ou encore l’immigration, autant de récits qui émergent spontanément devant la caméra et dont la teneur peut décontenancer. Au fil de ses propres balades, l’artiste se laisse surprendre par les individus qu’il aborde, nous rappelant qu’il est facile de se tromper sur celles et ceux que l’on croise au détour des pavés.








Le choix de tourner seul et au smartphone induit pour Mathias Mary un rapport de confiance avec ces binômes, tant et si bien que l’on se surprend presque à vouloir suivre cette micro-saga canine plus longtemps et à dorénavant ouvrir notre champ de vision à ce qui se passe (ou à qui passe) à nos pieds. Des fragments de ville que l’on croit parfois reconnaître constituent le décor de ces séquences filmées en plongée et se déroulent au rythme des histoires et confessions qui nous sont rapportées hors champ. Ainsi, quand Méméla drague le boucher, Mamie facilite un Tinder canin, T-Rex gratte une invitation à la kermesse, Dadignio s’autoproclame expert en l’art de vendre du vent et Splif nous apprend à intégrer un quartier.

Loin de confirmer l’expression qui constitue le titre de son film, l’artiste – devenu lui-même acteur de son œuvre avec l’adoption d’Uma – nous livre une série de confrontations souvent chaleureuses où la défiance n’a pas sa place. Lors de ces parcours au ras du sol, le dialogue quasi constant entre ces duos nous en apprend toujours plus sur les jeux, les passe-temps préférés, les caractères et modes de vies de ces chien•ne•s, parfois devenues des figures emblématiques des quartiers qu’elles et ils arpentent. Mathias Mary révèle les petites histoires qui font la grande, souligne la beauté du geste ordinaire et le potentiel déconcertant de la quotidienneté dans un documentaire intimiste duquel se dégage une facilité trompeuse et où les images captées au jour le jour avec un téléphone s’apparentent à une forme de cinéma.

emploi fictif



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© Mathias Mary

chiens de faïence
2019
28’
un film de Mathias Mary
mixage sonore : Adrien Mora
avec : Splif & Chris, T-Rex & Christine, Méméla & Clémentine, Néo & Éliane, Alvi & Mohamed, Guandica & Mamie, Capitaine & Dadignio



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