au milieu des choses au centre de rien #7
Tanguy Roussel - Le Point Éphémère

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Premier mouvement

Un bruit liquide envahit progressivement l’espace. Un léger ressac nous emporte à mesure qu’il s’étoffe et prend de l’ampleur, rapidement supplanté par un son électronique qui s’empare de cet environnement phonique naturel.

Dans la pénombre de la salle du Point Ephémère, la silhouette de l’artiste ne se distingue qu’à travers un filet de lumière rouge. Il surplombe l’étrange entrelacement de câbles qui transparaissent dans l’obscurité – mangrove électronique qui prolifère jusqu’au dehors de la serre – à l’origine de ces différentes modulations et variations, liens intangibles qui génèrent des sons difficiles à caractériser.

S’imposent tour à tour à nos oreilles un sonar qui n’a rien de menaçant ; une stridence qui confère à l’inaudible ; un grésillement rappelant celui d’une radio dont on ne parviendrait pas à capter la fréquence ; le son cristallin d’une goutte qui s’abat sur la surface lactée de l’eau dans une grotte millénaire.

À la surface d’un écran noir, hors de l’habitacle luminescent, les lignes de codes défilent dans le même temps que le son se déploie dans l’espace. Nos mots, griffonés dans le noir, font écho au langage écrit parallèlement sous nos yeux par l’artiste avec SuperCollider.

Chaque son semble trouver refuge dans le précédent qui l’enveloppe avant de laisser place à de nouveaux accords polyphoniques et entêtants. On parvient à se laisser bercer y compris par les sons les plus désagréables. L’amplitude s’accroît jusqu’à s’infiltrer dans chaque parcelle de l’espace.

Une décélération fige le temps.

S’invitent alors d’autres sons qui résonnent dans la salle.





Second mouvement

Le murmure encore lointain d’un récital de Schubert se fait entendre. Une voix de cantatrice s'immisce timidement côté jardin, imperceptible d’abord, avant de devenir une présence envahissante et charismatique qui occupe la scène.

L’artiste, quasi-immobile, joue pour nous une partition codée – à la lisière entre improvisation et interprétation – qui s’échappe de la serre. Isolé dans la cabine, comme suspendu dans un temps autre, il paraît décidé à orchestrer un projet dont lui seul connaît le dessein. Baigné de lumière rouge, sa présence sur scène au milieu d'une salle vide donne l’impression qu’il est resté seul dans un monde où tout a vacillé. De délicats cliquetis de clavier continuent de scander ce son atone et arythmique. Imperturbable, il ne cesse d’écrire et de réécrire ces lignes de codes qui synthétisent le son, permettent son existence.

Tanguy Roussel fait appel à des sons qui réveillent chez chacun un imaginaire qui lui est propre. Il nous force à explorer l’endroit où se stockent les sons qui ont un jour effleuré nos tympans. Humble virtuose dont les doigts s’agitent au-dessus du clavier qwerty, il mêle nos souvenirs aux siens lorsqu’il mélange produits de synthèse sonore et samples qu’il a enregistrés en Grèce ou à l’occasion d’un concert en Bretagne. Il fait intervenir plusieurs personnages, devient le metteur en scène d’un collage phonique déroutant et nous transporte par là même à travers les époques.

On cherche instinctivement à relier les sons qu’il produit à ceux qu’on a déjà rencontrés, à déceler l’origine de ces bruits qu’il fait émerger en nous. De l’air de piano inarrêtable au vrombissement des hélicoptères, l’artiste donne à lire et à entendre les infinies possibilités du son.

Dissonantes parfois mais toujours justes, les notes se réverbèrent dans le lieu. Les murs et les sols tremblent, ça leur avait manqué.

Le son s’arrête, et il nous est impossible de dire si le live coding a duré une heure ou plusieurs.

Nos tympans se réhabituent doucement au silence qui s’est imposé autour de nous.


emploi fictif




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Visuels - Vues de l’exposition « au milieu des choses au centre de rien #7 », 11 mai 2021, Le Point Éphémère. © Tanguy Roussel, Arthur Guespin, emploi fictif. 



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