Ne pas déranger présente les travaux de vingt artistes qui abordent toutes et tous une forme de désobéissance du quotidien. Léger décalage avec le réel, cette thématique veut cristalliser un ensemble de micro gestes anti-pragmatiques, pas tout à fait interdits ni tout à fait acceptés. Allant à l’encontre de toute rationalité, les oeuvres rassemblées à l’occasion de cette exposition viennent interroger les notions de bienséance, de respect, de vie en communauté mais aussi amorcer de légères transgressions du normal comme autant de bouffées d’air dans une société hyper-régulée. Ne pas déranger s’envisage ainsi comme une forme de réponse à la lassitude parfois ressentie face aux règles suggérées, induites ou culturellement acquises et également celles d’un monde de l’art contemporain parasité par des poncifs et des normes sociales.

Le leurre, la diversion, la parade, l’humour ou encore le déguisement s’apparentent ici à des stratégies de contournement du règlement en place et façonnent un environnement visuel où les consignes sont presque respectées ou à demi-suivies. Refusant d’embrasser aveuglément le sens commun, les artistes sont à l’origine de pièces qui se déploient toutes dans un espace parallèle au cours habituel des événements. Accompagnée d’un manuel de non-choses à faire pensé par Jim Fontana, l’exposition se présente aussi comme un almanach de gestes à portée de main pour défier les convenances et tromper la routine de tous les jours. Ne pas déranger peut se concevoir comme un appel à la désobligeance, à une insubordination modérée ici organisée et régie par un ensemble de protocoles pensés par les artistes invité·e·s.

Une opposition malicieuse au système en place constitue ainsi l’un des moteurs principaux de l’exposition. Simmon Ballagny, fidèle à sa pratique, use de contrefaçons parodiques pour souligner les aberrations de l’administration française. Juliette George s’attèle elle-aussi à décortiquer les ressorts administratifs, prenant à son propre jeu des conseiller·e·s CPF à travers un rituel disruptif et taquin. Nguyễn Phượng Kiều Anh, seule artiste à déployer son oeuvre uniquement dans l’édition, joue à son tour avec les mots qu’elle écorche, malmène, combine et fait sciemment trébucher, dans un poème qui reflète les innombrables possibilités qui peuvent naître du contournement des règles phonologiques et sémantiques liées à la maîtrise d’une langue.

Le détournement est également une parade particulièrement plébiscitée par les artistes de l’exposition dans une logique à la fois satirique et libératrice. Nolwenn Vuillier crée ainsi des profils tinder pour des mauvaises herbes qu’elle fait converser avec des inconnu·e·s et camoufle dans l’espace une marche faite d’engrais organique quand Arthur Guespin utilise le micro-onde à des fins d’expérimentations chimériques, artifice crépitant allant à l’encontre de toute logique. Mao Yu Qiu bouleverse quant à elle les fonctions d’un piège à loup à l’échelle de la main ou de quatre épées mises hors d’état de nuire et Corentin Léber orchestre la réunion de managers en tout genre sans que l’on puisse pour autant déterminer la fonction d’aucun d’entre elles·eux. Le duo JJ von Panure ponctue les murs de leurs micro-créations caustiques et railleuses mettant en scène des personnages commettant des bêtises ou des voitures incendiées, forme de mini exorcisme face à des comportements sociaux prohibés.

L’humour est aussi un stratagème largement employé dans Ne pas déranger dès lors qu’il s’agit de s’émanciper des carcans édictés par la société, et notamment par le milieu artistique : quand Yves Bartlett nous rappelle sans trop de délicatesse qu’il s’agirait d’éteindre la lumière, lorsque Gwendal Coulon révèle les potentielles frustrations d’homonymes d’artistes célèbres ou questionne la parentalité d’une oeuvre. Cette réflexion sur le plagiat et la filiation fait également écho aux propositions d’Elisa Florimond qui s’intéresse à nos relations aux images et aux références culturelles dans un univers où elles sont tout autant recherchées que dévoyées et tues. Enfin, 7ODES (alter ego de César Ropponen Brunel) déconstruit le mythe d’un retour à la vie sauvage et nous rappelle que les visions utopistes d’autonomie ne sont pas si simples à mettre en place.

Ces actions plurielles qui s’épanouissent dans un à côté prennent aussi tout leur sens dans un espace public troublé par des perturbations minimes. C’est le point de départ de la proposition de Nastassia Kotava qui retranscrit sans la remanier une combine bien connue des passant·e·s mettant en scène une fausse pétition qui touche à nos sentiments ou encore de Louise Covillas dont la collection d’instants volés met en exergue une série de micro-récits absurdes et touchants saisis dans différents environnements citadins. C’est aussi le credo de Mathias Mary dont les photo-graphies de jeux d’enfants adultes sont éparpillées de telle sorte qu’il nous faut sauter par-dessus, les enjamber ou nous mouiller si l’envie nous prend de vouloir visiter le reste de l’exposition. Yue Yuan s’empare quant à lui de la signalétique urbaine nous donnant à voir l’arrière d’un panneau publicitaire bien souvent négligé dans un acte de rébellion poétique et mesuré.

Alors que le divertissement transparaît dans de nombreux travaux, une impression d’étrangeté voire de malaise imprègne néanmoins certaines oeuvres présentées dans Ne pas déranger. La pièce de Camille Soulat – montage de vidéos prélevées sur Tik Tok en apparence ludiques – sonde la fine frontière entre narcissisme et mal être. Les barques funéraires de Maïa Lacoustille s’attachent à souligner l’irrationalité d’une quête d’éternité aujourd’hui banalisée et à évoquer les tabous liés à l’anthropophagie. Enfin, Romain Carré nous invite à regarder un Unboxing d’anticipation dans lequel les présents reçus, vestiges de notre temps, illustrent un paysage dystopique contrastant avec la légèreté dévolue à cet exercice.

Pour autant, si l’exposition se compose essentiellement d’actions ponctuelles, il nous est apparu que pour beaucoup des artistes, pour ne pas dire tous·tes, c’est leur démarche créative dans sa globalité qui constitue une désobéissance du tous les jours. Parfois plus attaché·e·s au geste trivial qu’à un militantisme profondément ancré, elles et ils imaginent combines et subterfuges pour pallier leur désarroi face à la constante rengaine qui nous exhorte à ne pas déranger.

emploi fictif

© visuels : Yves Bartlett, Masha Schneida Otello, Sarah Lolley

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